Sélectionner une page

Avant-propos : il y a quelques temps déjà, le ministre du bien-vivre était en visite à Grenoble ! Improbable ! Je me précipite donc à la mairie pour le rencontrer et Freddy Elhers accepte que je le suive tout l’après-midi durant sa visite de la ville, dans l’éco-quartier de Bonne, puis dans le quartier Mistral où un programme d’écoute de la parole des habitants se développe. Ce ministre équatorien, pas comme les autres, est d’abord journaliste et il continue d’ailleurs de faire des reportages sur sa chaine Youtube. Défenseur de l’environnement depuis toujours, il a été nommé ministre du tourisme en 2010 avant de changer de casquette, pour travailler avec Rafael Correa, le président de l’Équateur, en tant que ministre du Bien-vivre. Avec Freddy Elhers, nous avons discuté du bonheur et du sens de la vie.

Bonjour Freddy, j’espère que vous appréciez votre visite en France et plus particulièrement à Grenoble, j’imagine que c’est très différent de l’Équateur. Ici, disons que nous vivons dans une société d’abondance et de sur-consommation, pensez-vous qu’il nous faut réapprendre à être heureux ?

Je crois qu’avoir autant de richesse, autant d’argent cela nous fait perdre les valeurs essentielles de l’être humain qui sont la simplicité, la relation à la beauté, la relation à l’amour inconditionnel, à l’harmonie, à la solidarité, à la vie en communauté, tout ça c’est ce qui nous rend heureux, c’est pourquoi je crois que dans les pays qui ont plus de pouvoir économique, on a perdu cette âme, cet esprit humain et je crois qu’il faut sauver cela. Parce que la vie est notre seule richesse, ce n’est pas l’argent que l’on a, ni les choses que l’on possède, ni les actifs financiers, mais c’est la paix intérieure et la relation à la vie. C’est pourquoi l’Equateur a une proposition tout a fait intéressante, avec la Bolivie et similaire à ce que fait le Bhoutan, en portant ce message que notre raison de vivre ne doit pas être l’argent sinon la vie. C’est cela qui va nous apporter le bonheur.

Cette idée du bien-vivre est-ce que l’on peut la définir alors ?

Cette explication doit passer par la parole, les conversations, le souvenir de ce qu’ont vécu nos grands-parents et nos parents, qui, dans beaucoup de cas, étaient bien plus heureux que nous avec beaucoup moins. Ils n’avaient pas de voiture, de maisons, de climatisation mais ils avaient une vie beaucoup plus, disons, en harmonie avec la vie.

Le bonheur c’est notre vie, c’est la seule chose que nous possédons et si cette vie nous en profitons en étant heureux et en paix, alors nous sommes les plus riches du monde, même en ayant très peu d’argent.

En réalité nous sommes la nature, nous faisons partie de la nature, nous sommes la nature comme le sont les arbres, les fleuves, les animaux et nous avons cette immense capacité de posséder la raison, mais cela c’est un bien comme un mal, parce que cela nous éloigne de la raison de la nature et nous emmène parfois sur de fausses routes. Selon moi, la consommation, vouloir toujours plus d’argent, toujours acheter plus de choses, vouloir être puissant, tout cela, ce n’est pas ce qui nous conduit vers le bonheur, le bonheur ne s’achète pas dans les centres commerciaux. L’homme le plus riche de France peut acheter des avions mais il ne peut pas acheter le bonheur. Le bonheur c’est notre vie, c’est la seule chose que nous possédons et si cette vie nous en profitons en étant heureux et en paix, alors nous sommes les plus riches du monde, même en ayant très peu d’argent.

Vous êtes ministre du bien-vivre, c’est tout à fait surprenant, mais j’imagine que vous ne dictez pas des lois pour apprendre aux gens à être heureux ! Quel est votre rôle en tant que ministre ?

Le ministère du bien-vivre, par disposition du président Rafael Correa, est destiné à mettre en forme des politiques publiques qui promeuvent l’idée du bonheur et du bien vivre. Nous sommes en lien avec tous les ministères pour faire en sorte que tout ce que fait le gouvernement puisse aider les gens à aller vers le bien vivre, que ce soit au niveau de l’éducation, de la santé, dans tous les ministères… L’important ça n’est pas d’avoir les meilleurs hôpitaux et les meilleurs médecins, non, ce qui est important c’est que les gens n’ait pas besoin d’aller à l’hôpital, c’est à dire qu’il est beaucoup plus important, pour nous, d’avoir une vie saine. Et je crois que les jeunes sont conscients de cela, peut-être une ou deux générations auparavant les gens n’étaient pas vraiment conscients que manger mal, vivre mal était source de souffrance, c’est pourquoi il faut apprendre à bien vivre, bien manger, bien marcher, bien travailler… Ainsi on peut profiter de la vie, de ce paradis qu’est la vie, il ne faut pas attendre la mort pour profiter du paradis, la vie est déjà le paradis si on sait en profiter.

Donc il semblerait qu’il s’agisse surtout d’une philosophie ?

C’est une réflexion mais ce sont surtout des projets que nous mettons en place avec tous les ministères qui les exécutent. Le ministère du bien-vivre est comme la conscience critique du gouvernement. C’est un petit groupe de personnes qui travaillent, nous sommes une quarantaine. Nous travaillons avec le président et les ministres dans un premier temps pour voir comment les personnes qui travaillent au sein des ministères se sentent et pour savoir si ils sont heureux dans leur travail. Tout cela dépend de ce qu’ils mangent, quels sont leurs horaires de travail, comment ils interagissent entre collègues, l’endroit où ils travaillent, donc nous aidons à améliorer petit à petit l’environnement de travail de chacun.

On oublie ce que cela signifie être un être humain, alors effectivement il est grand temps que les gouvernements se préoccupent de ces thèmes fondamentaux et qu’ils redéfinissent l’idée du développement et du progrès

Votre réflexion et votre travail semblent fonctionner en Equateur, mais pensez-vous que votre projet pourrait être adopté dans un pays comme la France ?

Nous avons discuté de cette idée avec les pays de l’Union Européenne, nous avons fait des réunions avec des hommes politiques, des techniciens et tous ont accueillis notre initiative de travailler au bonheur et au bien vivre comme une idée fondamentale à développer, surtout en ce moment. Parce que finalement, ils se sont rendus compte que l’on n’était plus en train de discuter en termes de socialisme ou capitalisme, de droite ou gauche, tout ça c’est pareil, si l’on regarde depuis notre perspective. Qui fait les meilleures voitures, qui donne les meilleurs salaires, qui fait mieux ceci, cela, on se compare toujours en termes de mieux, de meilleur… et on oublie l’être humain, on oublie ce que cela signifie être un être humain, alors effectivement il est grand temps que les gouvernements se préoccupent de ces thèmes fondamentaux et qu’ils redéfinissent l’idée du développement et du progrès.

Mais est ce qu’il s’agit de redéfinir le développement ou d’aller à contre courant de ce développement économique ?

Nous croyons que l’économie à son importance, mais ce n’est pas le plus important. Construire des routes ça n’est pas le plus important, ce qui compte ce sont les personnes qui vont emprunter ces routes et comment ces routes peuvent aider à préserver l’environnement et surtout ne pas détruire. Si l’on construit des hôpitaux pour soigner les malades et non pas pour prévenir des maladies, alors nous sommes sur la mauvaise voie. Parce que tout cela favorise les affaires, les grandes multinationales du médicaments, eux, ça ne les intéresse pas que les gens ne tombent pas malade, parce que tant qu’il y aura des malades ils pourront faire des affaires, mais l’on ne devrait pas faire de la santé un business, on ne devrait pas faire de l’éducation un business. Nous devons construire un monde dans lequel l’éducation est un droit fondamental, comme la santé, c’est essentiel. Mais tout cela est lié à comment l’être humain veut le faire et quelle est sa relation avec la vie. D’un coté il y a les droits, le gouvernement en est le garant, mais de l’autre il y a les devoirs et ce sont les nôtres, à nous citoyens et notre devoir c’est de se poser cette question : qu’est ce que je veux faire de ma vie, quelle relation je vais construire avec mon conjoint, ma femme, mes enfants, ma famille, mes voisins, tout cela ce sont des questions individuelles, mais elles doivent être pensées et c’est notre rôle de travailler au niveau du gouvernement pour favoriser tout cela. Il faut soutenir cette idée et apprendre à écouter la société, l’être humain, afin que l’être humain écoute l’autre et ainsi commencer à créer une nouvelle ère.