Depuis quelque temps déjà, on peut entendre ici et là que « l’action non-violente ne fonctionne plus », qu’elle « ne suffit plus » face à la violence subtile des gouvernants, verbale de certain médias ou physique de la part des forces de l’ordre ou de certains ignorants. De telles remarques me forcent à croire que se développe une méconnaissance ou une connaissance erronée de ce qu’est la non-violence. Je me suis donc penché sur les bouquins pour essayer d’en extraire l’essence et de formuler une définition qui, sinon exhaustive, rappellera à chacun la grandeur, la force et la portée de ce concept.
La non-violence n’est pas une forme de révolte « à la mode » qui permet de manifester son mécontentement « sans trop se mouiller » ou une forme de contestation que l’on utilise « jusqu’à ce que ça ne suffise plus ». Imposer ses idées, ses idéaux, aussi louables puissent-ils être, par la violence, ne résout aucun problème, mais ne fait que les déplacer. On ne peut défendre la vie en la violant. De plus, l’acte d’imposer, de manière grossière ou subtile, engendre un simple renversement des pouvoirs. C’est à cette forme de gouvernance que nous sommes habitués. Une fois le côté « adverse » assez fort, la situation s’inverse. Ce jeu n’a pas de fin puisqu’aucune évolution des consciences n’apparaît. Seules la colère et l’ignorance, racines de la haine, sont cultivées. L’histoire montre que ce qui a été obtenue dans la violence, peu importe les motivations, crée chez les vaincus rancœur et volonté de revanche.
“La Liberté acquise par l’effusion de sang ou la fraude n’est pas la Liberté.” Gandhi
À l’inverse, la non-violence, de par sa nature même, n’impose rien mais conduit, montre, éduque patiemment jusqu’à ce que le principe prôné soit devenu une évidence. Avec patience et rigueur, elle prépare les esprits car quiconque n’est pas convaincu de la nécessité de la réforme se sentira floué et trouvera dans cette rancune le courage et les raisons de s’opposer à ce qui lui est imposé.
“L’Humain comme animal est violent, il est non violent comme esprit.” Gandhi
Lorsque je refuse d’obéir à une loi qui répugne ma conscience, j’utilise ma volonté au risque de souffrir. Lorsque j’utilise la violence pour forcer l’annulation de cette loi, j’utilise ma force corporelle en faisant souffrir autrui. Le premier cas implique le sacrifice de soi, le second implique le sacrifice d’autrui. Dans l’hypothèse où la cause que je défends soit injuste, en étant non violent je suis la seul personne à subir les conséquences de mon erreur. Nul ne peut prétendre être dans l’absolue justesse et ne doit donc, selon tout principe de précaution, pas faire souffrir autrui pour ses hypothétiques erreurs. Ce sacrifice nécessite courage et bravoure.
En opposant une résistance de l’esprit, je surprends tout d’abord celui qui s’attend à une résistance du corps, résistance guidée par la peur. Déstabilisé, l’opposant se retrouve forcé à la reconnaissance de mon courage. Cette reconnaissance, loin de l’humilier, va l’élever, à l’inverse de toute autre forme de résistance. L’issue de ce combat est une victoire pour les deux camps. Au lieu de nourrir la haine et le communautarisme, la compréhension et la fraternité deviennent le terreau de la réconciliation menant au changement.
« Nous devons détester le péché, pas le pécheur »
La non-violence se distingue de la résistance passive, souvent interprétée comme l’arme des faibles, par sa capacité à frapper. C’est une résistance consciente, délibérée qui retient tout désir de vengeance – désir qui germe dans l’incompréhension et la peur d’être blessé.
Dans sa forme positive la non-violence implique la plus grande charité, le plus puissant amour. Car en aimant celui qui nous fait du mal, la peur que l’on peut ressentir se transforme en compassion, nous donnant ainsi la force de résister – pour nous-même et pour lui.
La non-violence implique des devoirs. Elle impose de se soulever contre toute injustice sociale. Elle nécessite de s’abstenir de toute forme d’exploitation. Elle prescrit de travailler dans le but de bénéficier à l’autre.
“Ne pas nuire à autrui comprend également de travailler pour son bien-être et de lui être bénéfique.” S.S. le XIV Dalaï Lama
Elle n’accepte pas la lâcheté ou la faiblesse. Gandhi disait » Ma non-violence n’admet pas la fuite face au danger et l’abandon des êtres chères sans protection. Entre la violence et la lâche fuite, je ne peux que préférer la violence à la lâcheté. » Mais cette violence, même dénuée d’animosité et de colère, demeure “le dernier refuge de l’incompétence”. « La non-violence est le summum de la bravoure », elle est infiniment supérieure à la violence.
Le rejet des biens superflus est plus utile que n’importe quelle dégradation, le refus d’obéir à des lois injustes plus efficace que mille jets de pierres, la non-coopération est l’action la plus puissante que l’on puisse accomplir. Ces actes nécessitent de la volonté mais sont réalisables par tous, partout.
La non-violence n’est pas née de l’esprit de Gandhi, elle n’est pas un concept réservé à certains orientaux illuminés. Jésus-Christ, Daniel, Socrate, sont de parfaits exemples de ce qu’est la résistance de l’esprit face à la tyrannie. Tolstoï, Thoreau ont très bien expliqué – et vécu – cette doctrine. Martin Luther King, Mandela, Gandhi ont démontré son efficacité. La non-violence est la seule et unique forme de résistance valable, durable et universellement praticable.
Elle est une opposition mentale à l’immoralité.
Elle est une résistance de l’esprit, déstabilisante, éclairante.
Elle est une souffrance individuelle et consciente pour un plus grand bonheur.
Elle est une lutte active et réelle contre la barbarie et l’injustice.
« L’humanité doit sortir de la violence seulement par la non-violence de la même manière que la haine ne peut être dépassée que par l’amour. »
Pour aller plus loin :
Voyagez ! Ce texte à été écrit à Rishikesh, en Inde
All Men Are Brothers, Mahatma Gandhi : sélections d’écrits et de discours, notamment autobiographique.
La voie du Bouddha, Kalou Rinpotché.
Why are you being educated, J. Krishnamurti : six conférences universitaires entre 1969 et 1984, d’avantage sur la connaissance mais qui rejoint et aide à comprendre la pensée de Gandhi.
Freedom Through Understanding, Lama Yeshe and Lama Zopa Rinpoche.
Pour aller encore plus loin :
Technique de la non-violence, Lanza del Vasto
Jonathan Livingston le goéland, Richard Bach